Louis Verret
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Les fruits de la passion (2021-...) est un corpus qui s’accorde à mettre en lumière le drame du football contemporain.
Ce projet exploite les situations paradoxales (esthétique, politique) de ce spectacle, que ce soit au stade ou devant sa télévision. Composé d’images traitées principalement à l’aquarelle, dans un registre lacrymal ou embué, ces productions plastiques sont submergeantes. Y sont consacrés, aussi bien en atlas qu’en proposition individuelle, le climat du stade, le geste du joueur, la ritournelle entonnée par la foule, l’adoration des idoles.
"Arènes d’aujourd’hui, les stades de football brassent un passif historique que les écrans, les bandeaux publicitaires et les moyens techniques de diffusion ne parviendront jamais à faire oublier. Roland Barthes le notait à propos du catch, dans un texte qui ouvrait son fameux traité sur les Mythologies (1957) : dans ce « spectacle excessif », domine une « emphase qui devait être celle des théâtres de l’Antiquité ». Les centaines d’aquarelles de Louis Verret formant la série intitulée Les Fruits de la passion ne désobéissent pas à de telles conclusions ; elles les certifient, en isolant les scènes et motifs qui rappellent le football à la longue histoire du sport et de la compétition publics, mais aussi des rites religieux et sociaux. Ses papiers détrempés de couleurs disent à leur manière que si la mise à mort a disparu, les origines culturelles du sport le plus plébiscité qui soit et les significations symboliques qu’il charrie et fait s’affronter ont leurs racines dans la nuit des temps.
Du regard indigent de l’attaquant qui prie les cieux sous les yeux, froids et nombreux, des caméras, jusqu’au capitaine se drapant de l’étoffe nationale pour signifier la loyauté au pays dans la victoire, en passant par les gestes dépités du perdant, un répertoire iconographique se forme qui révèle la théâtralité d’un sport particulièrement codifié. Le moindre tacle et ses conséquences scéniques nous rappellent à la jambe tranchée à l’épée du gladiateur, tant l’expression de la souffrance, fût-elle parfaitement factice, est nécessaire au déroulement du scénario olympien.
L’être humain se construit par mimétisme et le sport en est le royaume : copie parfaite du mouvement parfait, certes, mais pas que. Il est aussi un jeu où l’imitation donne dans la dépense pure, où une part d’énergie est consacrée à la répétition de gestes tout à fait inutiles à la réalisation du sport, cependant entièrement utiles à le convertir en spectacle. De saynètes redondantes en coups de théâtre (voire coups de tête), ces gestes-là disent moins l’effort lui-même – ainsi du « boulet de canon » tiré par un attaquant – que son accomplissement ou son échec.
À la fin du XIXe siècle, l’historien allemand Wilhelm Richter livrait une somme érudite sur les jeux et les sports antiques. Son contemporain Aby Warburg, historien de l’art et la culture, entreprenait quant à lui de comprendre comment les cultures enfouies étaient réveillées à des siècles de distances et tentait d’offrir une explication à la réitération de certains gestes, mouvements, postures, expressions ou motifs en les qualifiant de « formules de pathos » qui attestent d’un phénomène de « survivance ». C’est à la croisée de Warburg et de Richter que se situe le travail de Louis Verret. Les vidéogrammes de scènes passionnelles qu’il accumule comme matière première et convertit en peintures indiquent que la culture a ses réflexes autonomes, autrement dit qu’il existe un inconscient historique collectif.
L’emploi de l’aquarelle rappelle, par son aquosité, que tous ces gestes, eux aussi, maculent et débordent – non pas sur le papier mais à travers l’épaisseur historique des siècles qui se succèdent et d’une culture toujours plus composite, où les motifs religieux que sont la piété et la passion, par exemple, prennent place au sein du jeu et du sport. On pense alors à la perte du Danube, ce phénomène qui voit le grand fleuve, en période d’étiage, s’assécher et disparaître de la surface pour ne ressurgir que quatorze kilomètres plus loin – métaphore, elle aussi liquide, des survivances et de leur logique propre.
Le philosophe allemand Günther Anders voyait dans la diffusion instantanée des grands événements contemporains un tarissement de l’expérience humaine, en tant qu’elle nie la présence au monde tout en y faisant croire. Il demeure néanmoins que le spectacle qu’elle répand jusqu’aux confins du monde atteste bel et bien d’une présence à un temps long et pourtant révolu. D’une île à l’autre de la culture, formant un archipel, il y a des terres englouties qui sont autant de voies de passage. Les révéler exige, comme le fait Louis Verret, d’accumuler et d’agencer des images, à la manière d’un atlas ou d’une mélancolie, de sorte à ce que les chaînons manquants qui les explicitent accèdent à la visibilité."
Guillaume Blanc-Marianne Paris, 15 octobre 2023