Louis Verret
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L'Atlas, joueur, galerie Les Filles du Calvaire, Paris, 2024
Installation in situ, aquarelle sur papier, dimension variable
Note d'intention
L’exposition L’Atlas, joueur présente une série d’aquarelles sur papier extraites d’un corpus intitulé Les fruits de la passion, à travers lequel je questionne la relation entre le spectacle du football et une histoire politique de l’image.
J’exposerai à la galerie des Filles du Calvaire plusieurs dizaines de portraits et de figures en pied de joueurs de football. D’une popularité planétaire, abondamment médiatisé, le joueur de football est un véhicule inépuisable d’émotions inépuisables. C’est, plusieurs fois par mois et jusqu’à plusieurs fois par semaine, le même décor qui se met en place : un terrain éclairé dans la nuit et une attente. Que va-t-il se passer ? Que ce soit devant la télévision ou dans les tribunes du stade, seul ou entre amis, j’espère moins de la performance sportive que du spectacle. Et la tragédie opère, infatigable, sans arrêt renouvelée dans son scénario. Elle convoque la tradition. L’impossible. L’immémoriel.
Alors dans ma peinture le joueur est hors du jeu même : il est statique, en célébration, furieux, refusant de poursuivre la partie, consterné, mélancolique, abandonné. Dans un temps de représentation qui n’est plus sportif mais théâtral. Le traitement à l’aquarelle, par son aspect aqueux (elle est faite de sueur, de larme, de bave, de pluie, d’eau, de boue) amplifie le mouvement d’expression d’émotion du joueur, témoigne d’un débordement (passé ou à venir). Au seuil de la crête émotive, il ne se livre pas encore.
Le ballon, longuement maintenu à l’écart de ce corpus, fait son entrée pour l’occasion dans mes images, en tant qu’élément subversif et métaphorique. Il est porté par le joueur, cajolé, embrassé, en lévitation. Lui non plus n’est pas en jeu, mais bien sujet d’un jeu. Il pèse, concentre, attire et bientôt engage un dialogue symboliste. Les formes circulaires éparpillées dans l’accrochage, comme une constellation à identifier, témoignent d’une situation qui dépasse le cadre du football. Avez-vous remarqué que les ballons utilisés au cours des matchs de Ligue de Champions, étaient parés d’étoiles ? Avez-vous compris pourquoi ?
C’est avec l’accrochage de l’exposition en atlas, et par procédé de bon voisinage, qu’une lecture se dessine. Les formats varient et les peintures, serrées les unes contre les autres, y rebondissent et jouent entre elles, par teintes, par expressions sur les figures, par situations historiques contradictoires. Des images-passerelles fluides qui abolissent la logique chronologique : si nous sommes à tant de moments en simultanée, c’est que nous nous trouvons dans la frise large de l’histoire de l’art et de la représentation des émotions : des Pathosformeln d’Aby Warburg. A l’instar du filigrane de son Mnémosyne, mon atlas d’images joue des espaces laissés libres entre les illustrations, souligne les “liens manquants”, ces image-clés absentes de l’accrochage, rompant la narration linéaire, stimulant une lecture sensible, intuitive, poétique. Politique.
Il faut peu d’effort pour conférer au ballon le poids du monde. Je lui ai, plus d’une fois dans l’enfance, promis ma vie en cas de but marqué. Atlas avant nous héritait de ce fardeau pour en avoir trop demandé. La voûte céleste pesant sur ses épaules mythologiques, il deviendra protecteur des étoiles et des puissances astrologiques.
N’en est-il pas de même pour le joueur ? N’attendons-nous pas de lui de demander trop ? Marco Verratti n’est-il pas dans notre mémoire pour ses contestations plutôt que pour son talent de récupérateur ? Neymar Jr. ne nous a-t-il pas plus ému par son corps tordu au sol - pour une douleur toujours suspecte - que par ses dribbles ? Le tireur de penalty ne transfère-t-il pas le poids du mondovision au ballon lorsqu’il l’embrasse avant de tirer ? Tel Atlas, le joueur n’est-il pas destiné à exploiter les brèches, à casser les lignes, à contester les règles et les attentes au point de les faire modifier ? Pour les rejeter ensuite, toujours ?
Alors, jouons !
— Louis Verret
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Texte d'exposition
Au nom du football : “L’Atlas, joueur”
De quoi est-il aujourd’hui le nom, sinon le genre ? Entre celui que vivent les joueurs sur le terrain, les supporteurs réunis dans les tribunes, les téléspectateurs assis au creux de leur canapé et les digital natives rivés à leur écran, est-ce vraiment du même football dont il s’agit ? Un sport collectif ? Une marchandisation des corps ? Un mode d’existence communautaire et indiscipliné ? Un temps de cerveaux disponibles1 ? Un flux d’images interchangeables ? Ou autre chose encore ?...
Sous l’intitulé « L’Atlas, joueur », l’artiste Louis Verret, dont-on a pu voir récemment les œuvres à Poush, ne tente pas d’y répondre, mais nous fait tout du même entrevoir la matière première sur lesquelles ces interrogations se fondent, sinon les rapports à l’image qui en découlent. Aussi le médium de l’aquarelle, précisément choisi par l’artiste comme mode préférentiel de représentation, fait-il ici écho à cette dépense physique des corps durant un match, à cette atmosphère qui les nimbent en permanence et qui se mêle aux clameurs qui fusent dans l’enceinte du stade, à ces émotions et ces cris qui traversent et bouleversent les joueurs tout autant que les supporteurs à chaque action décisive. Autrement dit, en suivant la célèbre déclaration de Winston Churchill2 , ce labeur, ce sang, ces larmes et cette sueur qu’absorbe à chaque occurrence la feuille de papier. Il ne s’agit donc pas ici de la façon dont le sport peut « faire image », mais des manières infiniment plurielles dont ces images se génèrent, impriment notre mémoire et deviennent plus tard des reliques sinon des objets de culte. Il y a ainsi dans la production de Louis Verret quelque chose tout à la fois d’un album « Panini » revisité et d’un mur d’ex-voto consacré aux footballeurs qui ont marqués chacune de nos vies. Ce que renforce leur « mise en vitrine » à l’occasion de ce projet singulier.
Parallèlement, si la multiplicité des points de vue déployés par les œuvres présentées évoque cette notion d’“atlas” à laquelle l’intitulé de l’exposition réfère, qu’en est-il de ce “joueur” convoqué, lui, au singulier ? Sans doute l’artiste en premier lieu, qui se joue des footballeurs sur le terrain comme il se joue de nous, spectateurs captifs, devant son installation après l’avoir été devant nos écrans. Quoique de façon différente et selon un léger décalage. Car des images que le football se donne de lui-même, Louis Verret n’en garde ni les plus remarquables ni les plus spectaculaires. Ce qui fait sens ou réalité pour lui semble plutôt l’insensé ou l’inconscient du football et des footballeurs : ses langues individuelles, ses incontrôlés corporels, ses lapsus comportementaux, ses débordements spontanés, voire ses affirmations ou ses provocations face à des interdits explicites ou implicites, à l’instar de l’enlèvement du maillot et son brandissement à bout de bras entre imploration et sacrificialité. Ce qu’exprime dès lors des rituels comportementaux ou des codes vestimentaires secrets et quasi clandestins entre joueurs ou entre joueurs et supporteurs, des gestes de superstitions ou de prières excessifs, des attitudes quasi intimes et presque impudiques, sans oublier des « poses » presque religieuses, de formes inédites de pietà en postures inattendues de Saint-Sébastien.
Très curieusement le néologisme couramment utilisé de « digital » au lieu et place de « numérique » réfère à une physicalité et un « doigté » qui s’opposent au contexte de départ – le monde contemporain des images – tout en le ré-enrichissant de cette corporéité qu’il avait perdu du fait de sa technologisation. Ce qui nous fait ici face, ce n’est pas seulement un choix très minutieux et circonstancié3 d’arrêts sur image que Louis Verret a opéré au cœur de ce flux continu de retransmissions sportives qui s’enchainent presque sans discontinuité au fil des chaines de télévisions dédiées. Ce sont bien plutôt des faits, des moments, des espaces qui excèdent ce qu’ils sont censés représenter. Et les tâches d’aquarelle de rééditer les pixels de l’image numérique dans le champ du réel et non plus dans celui de sa reproductibilité infinie et de sa spectacularisation permanente. De même, les traits de crayons laissés visibles, les blancs entre les tâches et les multiples bavures de ces dernières de venir « substantifier » ce qui échappe ou déborde des faits représentés, et de faire vibrer cette vie et cette intensité qu’ils contiennent en eux- mêmes et par eux-mêmes, entre éblouissement pur et défaillance inéluctable. Et si cet « Atlas » du titre incarnait bien plutôt cette figure mythologique qui porte sur ses épaules la voûte céleste pour l’éternité afin que nos étoiles puissent briller au firmament nos cieux ? Beau joueur !...
— Marc Donnadieu, commissaire d’exposition et critique d’art
1 « Il y a beaucoup de façons de parler de la télévision. Mais dans une perspective “business”, soyons réaliste : à la base, le métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit. Or, pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible. » Patrick Le Lay, in « Les dirigeants face au changement », Paris Éditions du Huitième jour, 2004.
2 « I have nothing to offer but blood, toil, tears and sweat », Winston Churchill au cours de son premier discours prononcé à la Chambre des Communes le 13 mai 1940, comme suite à sa nomination au poste de Premier ministre du Royaume-Uni durant le conflit de la Seconde Guerre mondiale.